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L'univers d'Anaïs
9 décembre 2006

André Markowicz, le compte rendu !

André Markowicz

Dès le début de sa « communication », totalement improvisée (il n’avait aucune note sous les yeux), il a commencé par nous déclamer du Dostoïevski en russe. Voici ce qu’il nous a dit :

« Je veux être compris par mon pays et si je ne le suis pas, et alors ? Dans mon pays à moi je passerai de biais comme passe la pluie oblique. »

Le problème de la traduction est déjà posé : comment rendre cette phrase russe en français, pour qu’elle dise quelque chose à un lecteur français ?

L’essentiel, ce n’est pas la traduction mais d’amener l’interlocuteur à comprendre qu’on approche quelque chose d’autre, une autre façon de penser. Quelle est la pensée qu’il y a derrière cette phrase ? Il s’agit donc de comparer Dostoïevski à Dostoïevski.

Il faut faire entrer le lecteur dans un monde cohérent.

Dans La Cerisaie de Tchekhov, l’un des personnages dit : « il est arrivé le train, dieu soit loué » = il l’a attendu le train. Le sens de cette phrase est le suivant : tout est raté, dieu soit loué.

            Les informations n’existent pas en russe : il a fallu 12 ans à Markowicz pour traduire une phrase. Par exemple, lorsqu’en France on dit « Passe moi le sel », en russe, on ne le dirait pas comme ça : on rajouterait toujours une nuance affective ou que sais-je… En plus, en français, nous distinguons le registre soutenu du registre familier et du registre standard ce qui rend la traduction d’autant plus complexe.

            Dans les Démons, « et mal ça vous fera ? », en français on pourrait dire de cette phrase qu’elle est populiste. Or, il peut y avoir une langue inventée sans qu’il y ait forcément un enjeu populiste. On peut très bien garder cette traduction qui peut sembler incorrecte ou du moins bizarre au premier abord.

            Il faut avoir en tête que chaque traduction reflète le lieu commun de son époque. Aucune traduction ne peut prétendre à une part de vérité. Le souci de la traduction, ce n’est pas la fidélité au texte, mais de faire en sorte que le lecteur puisse refaire le même chemin que le traducteur c’est-à-dire, rendre de compte des structures, des façons de penser…

            Il y a une tradition dans la traduction russe. Prenons l’exemple du poème d’Edgar Poe, Le Corbeau, traduit par Baudelaire et Mallarmé : tous deux ont essayé de rendre les sonorités de la version originale dans leurs traductions.

            En revanche, c’est un fait historique que les formes de la poésie étrangère en France sont incommunicables. Personne en France au cours du XVIIIème siècle n’a essayé de traduire Shakespeare dans le pentamètre iambique qui le caractérisait et qui donnait le rythme de la diction du texte théâtral. Idem pour des poèmes comme L’Iliade et l’Odyssée d’Homère.

            En Russie, ça pose un énorme problème car la littérature russe s’est construite sur l’appropriation des formes occidentales : l’alexandrin pour Pouchkine par exemple. La métrique est la mémoire sociale de la poésie.

            Rimbaud, lorsqu’il écrit son poème Mémoire, tue la poésie, la mémoire classique et ainsi, tout rapport entre la poésie et la société. La poésie française ne s’adresse plus à la société. Chaque poète invente une mémoire : Cendrars, Ponge, Valéry…

            

            En Russie, le vers est resté vivant parce qu’on a essayé de tuer la mémoire d’avant pour créer l’homme nouveau. Comment le traduire dans une forme qui n’est plus sentie comme telle ? On peut faire tout ce que l’on veut mais à quoi cela sert-il s’il n’y a pas la référence, s’il n’y a pas la tradition ?

            La traduction de Shakespeare quand on la lit ne rappelle rien : « To be or not to be… » est construit sur une non symétrie, à l’opposé de l’alexandrin. Prose et rimes alternent. En Russie, le pentamètre iambique a été utilisé par Pouchkine. Lorsque Shakespeare a choisi cette forme c’était dans le but de se démarquer et de s’opposer à l’alexandrin français. Ce pentamètre iambique, c’est aussi le vers de Villon.

            Dante a eu recours à la tierce rime parce que la Trinité existe. Si on ne rend pas compte dans la traduction des trois rimes, ça n’a aucun sens.

Il faut donc s’attacher à rendre compte des rapports de forme, des possibilités …. Trvail absurde et désespéré.

            Prenons l’exemple de Hamlet, dans toute la pièce, un seul vers sonne faux : on trouve six accents au lieu de cinq. Il s’agit d’une pièce sur la chair. On trouve d’ailleurs ce terme :

            « solid flesh » qui, à l’oreille peut être compris de deux manières :

-         « solid flesh » : ce qui est solide

-         « sullid flesh » : ce qui est souillé

L’interprétation de ce vers engage toute la traduction de la pièce.

Ici se termine ce récapitulatif, en espérant que j’aurai été assez claire, ou à peu près. A la fin, Markowicz nous a parlé d’un auteur, Balanche, qui aurait écrit une Antigone en prose (apparemment, il a découvert qu’il pouvait acheter des livres de collection sur ebay pour pas cher du tout, c’est comme ça qu’il est tombé sur cet auteur.)

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Commentaires
E
Eh bien, c'est du costaud ! Ca donne envie d'apprendre le Russe pour comprendre le texte sans l'interface de la traduction ! Becs ma tite poulette
F
Oui oui tout ca est très clair. Merci beaucoup pour ce compte rendu car la traduction est un sujet intéressant. j'ai appris des choses!<br /> a bientot bisous
L'univers d'Anaïs
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